Les enjeux émotionnels du test présymptomatique
Par Emmanuelle Busch, psychologue clinicienne-psychothérapeute pour l’Association Huntington France
Faire le choix du test présymptomatique est complexe de par ses enjeux. Il fait souvent suite à une réflexion de plusieurs années. La décision peut avoir été prise dès la majorité lorsque l’on a grandi avec un parent malade, ou lors de périodes charnières de vie : découverte de l’existence de la maladie dans la famille, ou volonté de s’installer en couple, de fonder une famille. Dans certains cas, c’est le désir des enfants de faire le test qui amène le parent à l’effectuer, avec l’idée de potentiellement épargner cette démarche à leur enfant.
Quel que soit le cas de figure, initier le processus a forcément une haute valence émotionnelle, avec les bouleversements que le résultat peut entraîner pour soi, mais aussi pour son entourage, pour les projets d’avenir, les priorités que l’on s’était fixées, la manière de vivre le moment présent.
Que le résultat soit favorable ou qu’il ne le soit pas, les conséquences vont au-delà de la maladie elle-même. C’est d’ailleurs tout le paradoxe : la charge émotionnelle n’est pas moins forte en cas de résultat favorable (non-porteur) que face à un résultat non favorable (porteur). Mais ce n’est un paradoxe qu’en apparence seulement, la grande majorité des personnes ayant la conviction intime d’être ou non porteuses et le résultat, quel qu’il soit, va venir confronter ou déstabiliser ces convictions. L’annonce du résultat du test se déroule dans un contexte familial, où la maladie est présente, fait partie de la famille, de son identité et la personne qui fait le test connaît ou a connu le plus souvent des personnes de sa famille malades.
Se découvrir non porteur peut ainsi amener un soulagement, certes, mais aussi une culpabilité de ne pas être « malade comme les autres », coupable de cette opportunité que d’autres, parents, cousins, frères ou sœurs, n’auraient pas eue. La tentation peut alors être grande, par devoir, par compensation, de s’imposer de s’occuper des personnes malades, de se positionner comme aidant absolu, au risque de s’oublier soi, de s’effacer. Pour les personnes persuadées d’être porteuses du gène, l’annonce de ne pas être porteur bouleverse la vision de soi dans l’avenir : comment parvenir à se projeter de nouveau dans un futur sans maladie, comment réinvestir un corps qu’on imaginait devenir malade un jour ?
A l’inverse, se découvrir porteur peut être le choc auquel on ne s’attendait pas, un monde qui s’écroule, un avenir qui doit être projeté et remanié autrement. Cela peut venir chambouler ses priorités, le sens que l’on donne au présent comme au futur. C’est aussi la peur de l’avenir, de devenir un poids pour ses proches, d’un corps qui se transforme, d’une perte d’autonomie.
Pour certain, le fait de savoir, de connaître le diagnostic est au contraire un soulagement « maintenant au moins je sais ». Le doute étant finalement plus difficile à vivre, et désormais, le frein est levé, l’épée de Damoclès ne pèse plus. On sait, donc on va pouvoir décider ce qu’on l’on souhaite : choisir de poursuivre sa vie comme elle est parce que l’on s’y sent bien et la savourer d’autant plus que l’on a revu l’ordre de nos priorités. Ou à l’inverse décider de ne pas rester dans un quotidien, un travail, une routine dont on prend d’autant plus conscience qu’ils ne nous épanouissent pas et qu’ils nous enferment. Faire un « tour du monde » ou entreprendre ce qu’on n’osait pas ou n’imaginait pas faire ou ce qu’on reportait à plus tard. Je vous invite à découvrir le projet Exploreforhuntington de Dimitri Poffé qui n’exprime aucun regret de ne pas avoir fait le test plus tôt, par conviction qu’il n’aurait pas eu la maturité nécessaire pour accepter le résultat, mais pour qui se savoir porteur a été l’occasion de réaliser ses rêves.
Toutefois, l’on peut aussi décider de ne pas faire le test, de ne pas savoir. Ce doute qui était trop difficile et pesant pour les uns est au contraire un confort pour d’autres qui pensent que savoir serait un obstacle, un risque de dépression, d’incapacité à gérer ses émotions et angoisses. Ne pas savoir, pour continuer sa vie telle qu’on la connaît. « On verra bien le moment venu », ou si des signes cliniques apparaissent. « A quoi bon savoir » puisque de toute façon la sensation d’inutilité reste majeure du fait de l’absence – à ce jour- de traitement curatif.
Il n’y a donc pas de bonne ou unique manière de réagir. Le choix reste une décision personnelle, en fonction de ce que l’on se sent capable d’affronter.
Le rôle de l’entourage, les conditions de soutien dont la personne dispose, son âge, ses valeurs philosophiques ou religieuses sont essentielles au choix, pour se sentir prêt. La crainte voire la peur d’aborder la question avec son entourage ou d’attendre le résultat pour le faire sont aussi souvent exprimées par les personnes en questionnement.
Toutes ces réactions, en apparence contradictoires, sont normales.
Peut-être la question de fond est-elle de savoir quoi faire de ses émotions, ressentis, appréhensions et interrogations ? En parler avec d’autres ? Se renseigner ? Prendre un premier contact avec un Centre de Référence pour disposer d’un premier repère ?
C’est pour toutes ces raisons que le test n’est accessible que lors de la majorité légale. Le test se déroule dans un centre de génétique. C’est un processus accompagné dans la durée, avec des entretiens auprès du généticien, d’un psychologue, le cas échéant d’un psychiatre. Il nécessite la signature d’un consentement éclairé et la personne doit certifier avoir compris les enjeux du test. Il est également possible de renoncer à tout moment au cours de la démarche.
Par ce texte je voulais vous dire que vous n’êtes pas seul à traverser cette décision. Ce choix peut être une épreuve. N’hésitez pas à contacter l’Association Huntington France pour en discuter si vous le souhaitez, pour avoir les coordonnées de centres, ou pouvoir échanger avec d’autres personnes se trouvant dans la même situation.
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